Heisenberg, le physicien de l’incertitude
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.Heisenberg gymnasium.
Arnaud Cuisset, Université Littoral Côte d’Opale
Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la science (du 5 au 13 octobre 2019 en métropole et du 9 au 17 novembre en outre-mer et à l’international) dont The Conversation France est partenaire. Cette nouvelle édition aura pour thème : « À demain, raconter la science, imaginer l’avenir ». Retrouvez tous les débats et les événements de votre région sur le site Fetedelascience.fr.Mais qui est donc Werner Heisenberg ? Les fans de la série Breaking Bad vous répondront Walter White, un professeur de chimie d’Albuquerque au Nouveau-Mexique qui sombre dans le crime. D’autres amateurs d’histoire se souviendront du scientifique qui a coordonné le programme nucléaire allemand pendant la Seconde Guerre mondiale et qui apparaît dans les séries « Genius » ou « The heavy water war ». Enfin, certains étudiants férus de science vous diront qu’Heisenberg n’est pas un personnage de fiction mais un scientifique célèbre pour son principe d’incertitude.
Vous avez dit principe d’incertitude ?
Pour comprendre ce principe, il faut d’abord se placer dans le monde de la physique classique, celle de Newton et de Képler qui nous ont démontré que si l’on connaît à chaque instant la position d’un objet, sa masse et sa vitesse alors sa dynamique est complètement déterminée. Jusque-là tout va bien, mais quand on quitte le monde classique pour entrer dans le monde atomique qui obéit aux lois de la physique quantique ce n’est plus si simple. Au début du XXe siècle, les physiciens se sont heurtés à un casse-tête inextricable : les trajectoires des particules observées dans les chambres à brouillard ne permettaient pas de définir simultanément une position et une vitesse précise à ces particules. Un soir de février 1926, dans son petit appartement sous les combles de l’institut de Niels Bohr à Copenhague, Heisenberg, réfléchissant à l’énigme des trajectoires dans la chambre à brouillard, repensa à une conversation qu’il avait eue avec Einstein qui lui affirma que : « C’est la théorie qui décide ce que nous pouvons observer. » Mais comment la théorie décidait-elle de ce qui peut et de ce qui ne peut pas être observé ? La réponse était le principe d’incertitude. Heisenberg découvrit ce soir là que la mécanique quantique interdit, à un instant donné, la détermination précise simultanée de la position et de la vitesse d’une particule. Il est possible de mesurer exactement soit où se trouve une particule soit à quelle vitesse elle se déplace, mais pas les deux à la fois. C’était le prix exigé par la Nature pour connaître exactement l’une de ces valeurs. Plus l’une était connue avec précision, moins l’autre pouvait l’être. Heisenberg savait que, s’il avait raison, cela signifiait qu’aucune expérience effectuée à l’intérieur du royaume atomique ne réussirait à transgresser les limites imposées par le principe d’incertitude. En 1927, lorsqu’il présenta son principe au congrès de Solvay devant les plus grandes têtes pensantes du monde de la physique les réactions furent des plus houleuses. Fallait-il voir de l’arrogance ou de l’humilité dans ce principe qui finalement affirme que, même dans 1 000 ans avec l’instrument le plus précis du monde, on ne sera jamais capable de mesurer avec précision simultanément la position et la vitesse des briques ultimes de notre matière. Le renoncement à une réalité objective, à une vérité absolue, le couronnement de l’incertitude au cœur même de la Nature fût pour certains la marque de Dieu et pour d’autres comme Einstein le refus d’une Nature probabiliste avec la célèbre phrase provocatrice « Dieu ne joue pas aux dés ! »./www.astrosurf.com, Author provided
Une carrière fulgurante
Mais l’incertitude chez Heisenberg allait bien au-delà de son principe : sa vie et plus précisément les positions qu’il a pu prendre en contexte de guerre nous laisse encore aujourd’hui dans l’incertitude. Werner Heisenberg est né en 1901, il grandit dans un milieu privilégié où ses parents lui donnent le goût de la beauté : la beauté de la nature, la poésie, la musique et bien évidemment la beauté du langage mathématique qui va lui donner l’intuition que la substance du monde n’est pas matérielle. Toute la scolarité du jeune Werner se déroula dans le contexte de la Première Guerre mondiale. Il y reçut un programme d’endoctrinement patriotique à travers la Wehrkraftverein, une version paramilitaire des Boys Scouts allemands. Heisenberg va profiter de l’interruption des cours pendant la guerre pour étudier de son côté et acquérir des connaissances d’un niveau supérieur à celles qu’on lui demandait. Dès cette époque, il s’intéressera aux atomes, fondamentalement pour des raisons philosophiques. Il dira : « J’étais fasciné par l’idée que l’on puisse trouver des formes mathématiques dans la plus petite partie de la matière ».
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Sa carrière universitaire puis scientifique ne sera que fulgurances. Il obtient son doctorat à 22 ans dans un délai record de 3 ans après avoir intégré l’université de Munich. En 1922, Niels Bohr lui révèle sa vocation de physicien. À l’âge de 26 ans, en plus du principe d’incertitude, il jette les bases théoriques de la mécanique quantique et devient professeur à l’université de Leipzig. En 1933, l’année de ses 32 ans et de son prix Nobel coïncide avec l’accession au pouvoir des nazis. Certes Heisenberg va employer une grande partie de son temps à maintenir le haut niveau scientifique de son pays, à promouvoir la physique théorique et à se défendre des attaques de certains nazis. Mais néanmoins, contrairement à Einstein ou Schrödinger, Heisenberg décide de rester en Allemagne et ne s’oppose pas ouvertement à la politique d’Hitler. Il aura, avec quelques nuances, une attitude proche de la majorité des scientifiques allemands en ne voyant pas forcément d’un mauvais œil l’idée de rénovation nationale promise par Hitler. Il écrit en juin 1933 : « Avec le temps, les choses splendides seront certainement séparées des choses odieuses »Heisenberg sans certitude
Beaucoup d’éléments laissent à penser que le père du principe d’incertitude s’est retrouvé dans les heures noires de l’histoire, dans l’incapacité de comprendre le monde extérieur qui n’était que pour lui qu’une succession d’incertitudes. C’est pendant la Seconde Guerre mondiale que l’on trouve les principales controverses quand Heisenberg va jouer un rôle de 1er plan dans le projet nucléaire allemand.Il fut d’abord affecté au début de la guerre au club de l’uranium où son travail consista à établir un rapport sur la fission nucléaire et ses possibilités pratiques d’utilisation. Heisenberg affirmera qu’il vit, à cette époque, s’ouvrir devant lui le chemin qui menait à la bombe atomique mais qu’il a essayé de développer le programme vers le développement de l’énergie nucléaire pacifique.
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Encore aujourd’hui, il est difficile de savoir si oui ou non Heisenberg a tenté de ralentir le projet nucléaire allemand. La fable d’un Heisenberg prétendant dresser les physiciens du monde contre la bombe peut paraître aussi pertinente que celle d’un scientifique dont le nationalisme et l’ambition personnelle l’ont conduit à accepter et à se faire bien voir du régime nazi. Arnaud Cuisset, Professeur de Physique, expert en spectroscopie moléculaire, Université Littoral Côte d’Opale Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.