Multi CHARME : entre recherche et émotions, un projet en temps de Covid

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Les allers – retours d’un laser rouge dans la cellule de Chernin.
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Eric Fertein, Université Littoral Côte d’Opale

Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la science, qui a lieu du 1er au 11 octobre 2021 en métropole et du 5 au 22 novembre 2021 en outre-mer et à l’international, et dont The Conversation France est partenaire. Cette édition a pour thème : « Eureka ! L’émotion de la découverte ». Retrouvez tous les événements de votre région sur le site Fetedelascience.fr.


Dans l’atmosphère ambiante, il est difficile de séparer la chimie, de la météorologie, des effets de mélanges, des émissions… Depuis la fin des années soixante, les chercheurs ont développé en laboratoire des systèmes fermés afin d’étudier les processus physico-chimiques atmosphériques. Appelées chambres de simulation atmosphériques (CSA), elles permettent de travailler dans un environnement contrôlé. Les expériences en CSA permettent, entre autres, de comprendre les mécanismes complexes se produisant dans l’atmosphère. Ces recherches ont ainsi permis le développement de modèles de chimie atmosphérique permettant par exemple de prédire la formation de l’ozone ambiant.

Il existe aujourd’hui dans la communauté internationale une quarantaine de CSA dont la moitié en Europe. Chacune de ces chambres présente des caractéristiques différentes et sont complémentaires. La CSA du Laboratoire de physicochimie de l’atmosphère (LPCA) de l’Université du Littoral Côte d’Opale (ULCO) a, dès sa création, été pensée pour le couplage d’expériences d’optiques originales. Répondant au nom évocateur de CHARME, acronyme anglais pour « chamber for the atmospheric reactivity and the metrology of the environment », la CSA est une enceinte en inox de 1,5m de diamètre et d’une longueur de 5 mètres.

La chambre de simulation atmosphérique CHARME.
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Au LPCA, Arnaud et Éric sont chercheurs. L’un est professeur et l’autre, ingénieur de recherche. Le premier, véritable Sherlock Holmes, sait retrouver la signature d’un gaz à l’état de trace dans un enregistrement complexe caractéristique d’un mélange gazeux tandis que le second construira le système qui permet de les détecter.

Avec leur équipe, ils se lancent dans un projet innovant consistant à construire dans la CSA un système ultra-sensible, appelé spectromètre par les spécialistes. Celui-ci permettra de mesurer la répartition d’un rayonnement térahertz en fonction de sa fréquence et ainsi détecter des gaz dans des environnements hostiles tels que les fumées par exemple. Cependant, pour que le spectromètre soit ultra-sensible, il est nécessaire battre le record mondial de distance de propagation de cette onde électromagnétique. L’idée consiste donc à placer judicieusement des miroirs face à face afin de replier le faisceau térahertz sur lui-même à chaque réflexion.

Ainsi piégée entre ces deux réflecteurs qui constituent une cellule dite « de Chernin » (du nom de son inventeur), l’onde parcourt plusieurs centaines de mètres avant d’être recueillie par un détecteur spécifique. À chaque passage, le rayonnement est absorbé par les gaz contenus dans la chambre de simulation. Plus le nombre de passages est élevé, plus cette absorption est importante et plus la sensibilité du système est élevée. Le nom du projet découle de la description du projet développé dans la CSA : MULTI-CHARME pour MULTIpass reflexions in CHARME.

Les allers-retours d’un laser rouge dans la cellule de Chernin.
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Comme tout projet innovant, deux difficultés sont à surmonter : la première consiste à avoir une distance suffisamment grande entre les miroirs. C’est le cas ici puisque la CSA a une longueur de 5m. La seconde nécessite la construction de miroirs suffisamment grands afin d’éviter que les réflexions du faisceau sur les miroirs se recouvrent, amenant alors des interférences parasites. Ils se tournent alors vers les chercheurs avec lesquels ils collaborent depuis de nombreuses années : Weixiong et son équipe de la Hefei Institutes of Physical Science de l’Académie des Sciences en Chine.

Le projet Multi CHARME atteint son but : il séduit les investisseurs qui proposent de financer non seulement la fabrication du matériel d’optique mais aussi un ingénieur d’étude qui travaillera sur le projet avec Arnaud et Éric pendant une année.

Dès lors, le projet passe à la vitesse supérieure et le calendrier se précise. Jean est recruté : il quitte Avignon et s’installe à Dunkerque en juillet 2019. Parallèlement, les miroirs, très spécifiques, seront fabriqués par Weixiong et ses collaborateurs. Ils arrivent au laboratoire en novembre 2019. Weixiong reçoit dans la foulée son visa pour venir installer le système en février 2020, après les fêtes du Nouvel An chinois.

De retour des vacances de Noël, Arnaud réserve la chambre d’hôtel de Weixiong. Sauf que celui-ci ne retournera pas travailler en présentiel après ses congés : le gouvernement chinois décrète la mise en quarantaine face à la pandémie de Covid-19. C’est la consternation parmi nos chercheurs français.

Arnaud prend les rênes.

« En Chine, les chercheurs ont appris à aligner la cellule de Chernin. Ils ne viendront pas nous aider en France. Nous devons apprendre à le faire nous-même, décide-t-il. »

Éric part alors à la recherche d’une salle suffisamment grande pour contenir la cellule de 5m et le matériel d’émission et de réception des faisceaux lumineux. Pour ce faire, une salle de travaux pratiques des étudiants de licence est réquisitionnée. Cependant, un deuxième problème surgit. L’électronique de pilotage des miroirs est restée en Chine. C’est à ce moment qu’intervient Pierre. C’est le technicien en charge de la salle de TP dans laquelle la cellule a été montée. Il se révèle comme un véritable « géo-trouvetou » dans le domaine des plates-formes de prototypage. En quelques heures, il trouve une méthode pour piloter les vérins de chaque miroir indépendamment les uns des autres. Éric et Jean maitrisent les techniques d’alignement après quinze jours de travaux intensifs.

Cependant, le 17 mars 2020, la vie se fige aussi en France. La veille, le groupe au complet se réuni et met en place un plan d’action. Il est difficile de prévoir l’évolution de la géométrie du faisceau térahertz dans la cellule. Il est nécessaire de faire des simulations de propagation optique. Le temps du confinement sera réservé à cela. Le premier confinement débute alors.

Finalement,ce sont les réunions par vidéoconférence et les appels téléphoniques qui vont permettre non seulement l’avancement du projet mais aussi à chacun de garder un pied dans la réalité, dans la « vraie vie du travail ».

La rentrée post Covid voit Éric et Jean s’agiter autour de la CSA, avec l’aide de Nicolas, l’ingénieur CSA, et de l’équipe technique. Il s’agit d’ouvrir l’extrémité de la chambre pour y introduire la cellule multipassages. Les flasques d’entrée et de sortie pèsent une centaine de kilos et nécessitent l’emploi d’une mini-grue adaptée (photo 3). Toutes ces manipulations sont possibles grâce à un sésame : « le guide de conduite en temps de pandémie », écrit par le comité hygiène et sécurité de l’ULCO et décrivant les précautions à prendre et les gestes barrières à mettre en place.

Pendant ce temps, Arnaud s’active en télétravail. Sa priorité numéro 1 est de prolonger le contrat de Jean afin de pallier les 2 mois pendant lesquels il a été impossible de venir travailler en présentiel. Puis il élabore un véritable plan de bataille qu’Éric et Jean vont suivre à la lettre. Le premier gaz cible est détecté juste avant les vacances du mois d’août. Les mesures qualitatives puis quantitatives suivent au mois de septembre. Peut de temps avant le second confinement, une grande joie s’empare de l’équipe : le record mondial de propagation du rayonnement térahertz est battu : 280 m alors qu’il était de 150 m jusqu’à alors.

Ainsi, le projet Multi CHARME sera finalisé avec succès fin octobre 2020 avec, à ce jour, un article publié dans Applied Sciences, une conférence à l’International Symposium of Molecular Spectroscopy à l’université d’Illinois aux États-Unis et un poster présenté aux Journées de Spectroscopie moléculaire à Rennes.

Néanmoins, Multi CHARME restera, dans l’esprit de tous ses acteurs, un ascenseur émotionnel. D’un jour sur l’autre l’équipe est passée de l’euphorie d’avoir réussi à piloter le système complet avec deux microprocesseurs à l’anxiété la plus profonde en coordonnant le contenu de leurs ordinateurs portables en vue du premier confinement. Arnaud a ainsi passé ses soirées d’octobre avec Jean pour analyser les résultats obtenus afin de boucler le projet avant le second confinement.

Ce sont pourtant ces interrogations, ces peurs mais aussi les succès face à l’adversité qui ont formé une équipe soudée.The Conversation

Eric Fertein, Ingénieur de Recherche en instrumentation scientifique, Université Littoral Côte d’Opale

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.